mardi 24 juillet 2012

Comment la Chine rachète la Grèce!



Depuis la crise, la Chine investit massivement en Grèce.
Alors que le gouvernement Samaras va lancer dans les prochains mois une vague de privatisations, les Chinois veulent jouer les premiers rôles. Deux petits drapeaux grec et chinois trônent sur le bureau de Constantine Yannidis, à Athènes. Le jour est important : le président de la Chambre de commerce sino-hellénique reçoit la visite d’une dizaine d’entrepreneurs venus de la province chinoise de Jiang-Su. Ces dernières années, les Chinois montrent un intérêt croissant pour la Grèce, et les délégations investissent le bureau de M. Yannidis.

Une hausse de 250% des exportations

« En 1972, nous échangions pour 1 million de dollars. En 2012, le commerce gréco-chinois représente plus de 4 milliards de dollars »,détaille Constantine Yannidis. En un an, les exportations de la Grèce vers la Chine ont flambé. Au premier trimestre 2012, on enregistre une hausse de 250% par rapport à la même période sur l’année précédente. Le coton, le marbre et le vin grecs sont les produits les plus prisés des Chinois. Preuve de l’appétit de l’Empire du milieu, entre 2006 et 2010, la Chine a multiplié ses investissements dans l’industrie en Grèce par 1.000!

Un plan Marshall Chinois

« La Grèce n’est pas seulement la porte d’entrée de l’Europe. C’est aussi une voie d’accès pour la mer Noire, le Moyen-Orient, les Balkans», analyse Spyros Kouvelis, ancien ministre délégué aux Affaires étrangères, chargé de la diplomatie économique,entre 2009 à 2011. De par cette position stratégique, la Chine veut investir davantage dans l’énergie et les transports.

Alors que le gouvernement grec, sous pression de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international), qui débarque cette semaine à Athènes pour mener une nouvelle mission, s’apprête à lancer un plan massif de 28 privatisations dans les prochains mois, la Chine veut décrocher les premiers contrats. « Pour la compagnie publique ferroviaire, les Russes et les Chinois sont fortement intéressés. La Chine reste également très attachée aux entreprises touristiques, et à la construction où ils sont très bons », confie Areti Skafidaki, première secrétaire aux Affaires économiques du ministère des Affaires étrangères grec.


Cosco, symbole de l’ambition chinoise en Europe

Car l'intérêt chinois pour la Grèce ne date pas de la crise. Dès 2005, le gouvernement de droite de Kostas Karamanlis tend la main à la Chine. En 2006, l’entreprise chinoise de télécommunications, Huawei, s’allie avec le grec OTE. En octobre 2010, Wen Jiabao, le Premier ministre chinois, et son homologue grec, Georges Papandreou, signent 13 contrats de coopération économique entre les deux pays.

Wen Jiabao qualifie alors la Grèce de « partenaire le plus crédible de l'Union européenne ». Le Premier ministre chinois est convaincu qu’«au cours des cinq prochaines années, le volume du commerce entre les deux pays doublera, à 8 milliards de dollars. » A côté des transports et de l’énergie, les investisseurs chinois sont issus des télécoms (Zhongxing Telecom Equipment) ou de la construction (BCEGI). Et d’après plusieurs sources, l’ambassade chinoise en Grèce encourage l’implantation de petits commerçants chinois, en coopération avec le gouvernement grec. « Nous avons facilité la législation entre les deux pays. Les visas sont accordés plus aisément », avoue Spyros Kouvelis.

Petits commerçants

En 2008, la Grèce concède deux des trois embarcadères du Pirée, le port d'Athènes, à l’entreprise chinoise Cosco, pour 35 ans. Le géant chinois s’installe officiellement en juin 2010, sous la bannière de sa filiale, Pireus Container Terminal (PCT). « Notre chiffre d’affaires a progressé de 73% en 2011 », se félicite Tassos Vamvakidis, directeur commercial de Cosco. Si en 2009, des partis politiques, à l’image du Pasok, et des syndicats, se sont opposés à la privatisation d’une partie du port par les Chinois, les avis sont aujourd’hui partagés. « Beaucoup de gens travaillent pour Cosco », commente un restaurateur de Perama, le village voisin. « Ils engendrent des bénéfices et offrent la garantie d’un travail. »Le géant chinois du transport maritime emploie 750 salariés, dont seulement 8 chinois. « Nous sommes une compagnie grecque», assure fièrement Tassos Vamvakidis.

Main d’œuvre européenne, management chinois

La Chine se tourne désormais vers le « made in Europe ». Une délocalisation d’une partie de sa production sur le Vieux continent, afin de réduire les coûts et s’ajuster aux normes européennes. « Les Chinois essayent de s’adapter. J’ai connu d’autres nationalités, comme les Russes ou les Arabes, qui imposent plus leurs idées que les Chinois », affirme Spyros Kouvelis. Ainsi de l’entreprise chinoise de produits chimiques CSCC, qui s’est alliée avec la compagnie de poids lourds allemande, MAN, afin d’utiliser la technologie germanique.

Mais en Grèce, si les « bras » sont Hellènes, la « tête » demeure chinoise. La gouvernance des entreprises chinoises reste centralisée depuis Pékin, et les méthodes de travail, tournées vers la productivité, sont parfois loin des standards européens de protection sociale des travailleurs. «Il n’y a pas de planning de travail », confie Dimitrios, qui a travaillé 9 mois comme docker chez Cosco. « Tu reçois un SMS et trois heures après, tu dois être au travail. Tu n’as pas le droit d’être absent, sinon tu es sur la liste noire.» Au Pirée, côté Chinois, le statut est intérimaire, les salaires restent inférieurs au côté grec, et la couverture sociale, moindre.

Accords collectifs inexistants

Alors que le chômage en Grèce atteint 22,5% au premier trimestre 2012, les entreprises chinoises profitent ainsi de la crainte de perdre son emploi face à la crise. Sur l’embarcadère numéro 2 du Pirée comme en Chine, les accords collectifs sont inexistants. « J’ai été licencié car j’ai essayé de créer un syndicat », déplore Dimitrios. « Les employés sont effrayés à l’idée de faire grève. » Nikos, docker à l’embarcadère numéro un, résume, amer : « La Grèce est la porte d’entrée en Europe pour les mauvaises conditions de travail des Chinois ».

Au-delà de la position stratégique de la Grèce, la Chine a compris sa chance d’investir dans un pays en proie à une administration instable et à la régulation plus souple. « Un pays en crise est un pays vulnérable », explique Spyros Kouvelis. Cosco a ainsi convaincu le puissant lobby des armateurs grecs de construire ses bateaux en Chine, à bas coût. « Les armateurs grecs sont internationaux. Ils construisent des bateaux avec un rapport qualité-prix », justifie Nikos Vernicos, président de la Chambre internationale grecque de commerce, et lui-même armateur. « C’est une concurrence déloyale pour les autres ports européens, qui ont d’autres normes », regrette Giorgios Gogos, Secrétaire général de l’Union des dockers du Pirée.


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